Notre Dame, la muse de tous les temps

Par le frère Yves Combeau, o.p., paru dans le numéro hors-série de La Vie, Notre Dame, blessée mais éternelle.

Elle a quelque chose d’une muse, d’une inspiratrice. Véritable œuvre d’art, Notre-Dame gendre d’autres œuvres, dans un dialogue du génie humain. Raffinés ou naïfs, les peintres, les photographes, les romanciers ont fait de la cathédrale une héroïne populaire.

Toutes les cathédrales inspirent, mais peu autant que Notre-Dame de Paris. Celles de Beauvais et de Strasbourg, deux géantes du Moyen Âge, n’ont pas encore trouvé leur peintre ou leur romancier. Notre-Dame de Paris, si. C’est même une de ses particularités. Déjà, au XVe siècle, le miniaturiste Jean Fouquet, quand les primitifs flamands et italiens élaborent des architectures fantastiques, donne sur une page des Heures d’Étienne Chevalier une vue extrêmement précise de la Cité, du Petit Pont encore couvert de maisons et surtout de Notre-Dame, parmi les toits et les clochetons de
la Cité. Fouquet a même observé que l’une des deux tours est légèrement plus étroite que l’autre.

Notre-Dame a donc accompagné la naissance du réalisme en peinture à l’aube des temps modernes. Désormais, la cathédrale devient un des sujets favoris des auteurs de « vues », ces peintres des villes qui s’attachent à rendre la lumière, les ombres, l’ordre et le désordre des cités des hommes. Plus tard, c’est comme symbole du mystère de Paris dans son entier, ville exemplaire parmi les villes, avec ses quais, ses boulevards, son urbanisme, que Notre-Dame apparaît dans les séries des impressionnistes, tableaux de la quête d’une beauté chaque jour à la fois semblable et différente. Quant aux romantiques, ils s’interrogent sur le contraste entre un Paris profane qui rit, souffre et s’agite et ce grand vaisseau amarré depuis le Moyen Âge entre le fleuve et le ciel.

Soleil matinal sur Notre-Dame. Huile sur toile de Francis Picabia, 1906.

Soleil matinal sur Notre-Dame. Huile sur toile de Francis Picabia, 1906.

Mais Notre-Dame n’a pas fait qu’inciter à la recherche picturale. En faisant paraître, sous l’impulsion de son éditeur qui voulait un récit à la Walter Scott pour le public français, un roman qui a pris le nom de son personnage de pierre, Notre-Dame de Paris, le jeune Victor Hugo, qui n’était jusqu’alors connu que pour La bataille d’Hernani, querelle littéraire confinée au quartier des théâtres de la capitale, réussit à marier le roman populaire, l’intrigue romantique, la vision historique, et remporte un succès sans précédent.

Hugo doit sa gloire à Notre-Dame et si le public actuel n’affronte plus guère La légende des siècles ou Les contemplations, il relit toujours à neuf l’histoire d’Esmeralda et de Quasimodo. À la suite d’Hugo, des générations d’écrivains, d’illustrateurs, de graveurs, d’archéologues se lancent à la redécouverte d’un Moyen Âge qui, loin d’être un temps d’obscurité, fut brillant, complexe, rationnel et inn ovateur.

Mieux : en exaltant la cathédrale, en critiquant son abandon et l’impéritie de ses responsables, Hugo précipite sa restauration et lance, avec Mérimée, le grand mouvement de sauvetage du patrimoine médiéval français. Si, aujourd’hui, on restaure la chapelle romane près de chez vous, c’est un peu à Notre-Dame de Paris que vous le devez. Paradoxalement, le traumatisme que fut la destruction de la Cité est à l’origine d’un intérêt nouveau pour le petit patrimoine, cet environnement des grandes œuvres bâties sans lequel elles perdent leur sens.

La restauration de Notre-Dame, telle qu’elle fut menée par Viollet-le-Duc, a une influence considérable : non seulement les architectes néogothiques ont pris le style d’Île-de-France pour modèle de réalisations parsemées de Berlin à New York, mais encore ils se sont attachés, à la suite du pionnier, à comprendre en profondeur la logique constructive des œuvres médiévales ; au-delà du pittoresque dans lequel se complaisaient les romantiques, gâbles et pinacles, l’école française de restauration a appris à respecter le monument, à ne pas gâter sa sobriété de formes ou sa simplicité de conception. Le danger de toute restauration est de réinventer un édifice fantasmé. Œuvre d’un siècle rationnel, Notre-Dame a enseigné aux architectes la raison et le goût dans la restauration. Et la voici de fait prenant part à la naissance de la modernité en architecture à la fin du XIXe siècle.

Notre Dame de Paris, Huile sur toile d'Edward Hopper, 1907. Withney Myseum of American Art, New York.

Notre Dame de Paris, Huile sur toile d’Edward Hopper, 1907. Withney Myseum of American Art, New York.

Devenue figure populaire, Notre-Dame de Paris, avec ou sans le filtre hugolien, est devenue aussi le support d’un art populaire. Les gargouilles fleurissent à toutes les boutiques des marchands de souvenirs et s’agitent dans des dessins animés imaginés de l’autre côté de l’Atlantique. On peut observer que la cathédrale, dans ces œuvres récentes, finit par n’être plus qu’un décor, mais les mystères médiévaux, ces drames religieux, ne se donnaient-ils pas déjà devant les portails des églises transformés en fond de scène ?

Toutefois, c’est à la photographie qu’il revient désormais de servir le mieux Notre-Dame de Paris. Un monument est d’abord donné à l’œil ; avant de raconter une histoire, il est volume et formes. L’œil du photographe se tait et montre. À notre tour de nous taire et de montrer.

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